YOHANN GOZARD | |||
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pauses | photos | Yohann Gozard - Photographies (Emilie Combes, octobre 2004) L’éloge de l’apparence(Bertrand Meyer Himhoff, 28.02.2006) Les spéculations sur la photographie renouvellent nos conceptions de l’art. En abordant les images de Yohann Gozard, leur contenu, en quoi elles sont différentes, il faut questionner en relation directe avec elles, quelques notions plus générales concernant la photographie. Où en sommes-nous avec la croyance dans son objectivité ? Elle ne figure pas l’évidence du monde mais synchronise notre regard avec le monde. La lecture “figurative” et la lecture plastique se conjuguent par la technique avec le médium photographique au point actuellement de faire oublier que l’image qui en résulte s’inscrit dans une longue histoire de la représentation1. Sans nier l’importance du médium, son invention de nature technique, l’image photographique est toujours à appréhender comme image et comme sens symbolique. Même si cela réduit la portée du changement qu’opère la technique (particulièrement l’informatique) et sachant qu’elle affecte le processus de création lui-même. La photographie est en mesure de transformer “artistiquement” l’apparence des choses et de subvertir de façon plus ou moins subtile les conditions de notre perception du monde avec une pénétration visuelle accrue. Yohann Gozard possède cette capacité de produire des images mentales inédites à partir de sa propre perception du monde. Il maîtrise avec des techniques de plus en plus complexes le passage d’un lieu se situant à la fois dans le “réel” et dans l’imaginaire entre la perception et sa révélation. A ces distinctions traditionnelles des fonctions de la représentation - qui parfois recouvrent selon notre croyance ou notre connaissance une seule et même chose idéalisée - s’ajoute celle d’une dimension virtuelle. La stratégie esthétique de l’artiste lui permet d’obtenir comme photographe une maîtrise technique parfaite de l’illusion… La troisième dimension est invisible car elle n’est autre que notre vision même2. Une exactitude qui ne respecte qu’en surface ou en apparence la valeur normative habituellement attribuée aux technologies de la perception. Un art de l’exactitude. Mais l’art n’emporte-t-il pas avec lui l’idée d’un au-delà de l’exact ? Dans l’exactitude, il y a un au-delà de l’exactitude qui la déborde, s’en déprend mais aussi en dépend3. La ressemblance rigoureuse provoque un sentiment d’angoisse. La façon de procéder transforme effectivement la lisibilité classique de la photographie en la bouleversant de l’intérieur. L’image objective, « réelle », rejoint l’image suggestive qui est (peut être ?) la seule « vraie », inscrite comme telle profondément en nous… La psychanalyse de la connaissance objective (…) est destinée, non à supprimer le passé, les fantasmes, mais à les transformer de puissances de mort en productivité poétique, l’idée même de la connaissance objective et celle de l’algorithme comme automate spirituel et celle finalement d’un objet qui s’informe et se connaît lui-même est autant qu’une autre, plus qu’une autre, appuyée à nos rêveries4. Le paradoxe de l’œuvre d’art est le traitement - avec des moyens formelles qui sont ou non propres à l’auteur – d’une réalité avec ou sans réalisme. Le réalisme photographique raffiné de Y.G. fonctionne comme un leurre accomplissant la confusion inouïe de la réalité et de la vérité5 pour mieux se dérober à une perception rapide qui ne rendrait pas justice à une vision en profondeur. Le spectateur comme Persée doit triompher de la Méduse en lui faisant contempler sa propre image fascinante dans le miroir. Ce qui est inconsciemment saisi est une émanation du motif, du modèle : Un paysage urbain hybride difficile à classer : Succession de strates, mouvements de déterritorialisation, visagéité du paysage ?Le visage est une surface (…), machine abstraite de visagéité qui surgit au détour (…) d’un état crépusculaire, d’une hallucination, d’une expérience de physique amusante6. Dans « L’interprétation des rêves », Freud compare l’appareil psychique en son entier à une sorte de microscope compliqué, un appareil photographique… La comparaison a le mérite de rappeler la difficulté de l’interprétation des images qu’elles soient rêvées ou photographiées. Le choix du registre nocturne des images adoptées par Y.G. suggère la dimension fictionnelle de la photographie comme machine à rêver et comme image qui exsude du rêve (…) déposé en elle7… Le registre nocturne nous permet de souligner l’adéquation des choix de Y.G. avec le fonctionnement optique de l’appareil photographique. Ils impliquent pour les prises de vues des modifications relationnelles entre l’espace et le temps. D’autres modifications plus structurelles de l’utilisation complémentaire de l’analogique et du numérique jouent un rôle conséquent. Elles conjuguent une sorte de radiographie de la prise de vue (ou de plusieurs prises successives de la même vue à partir d’un même point de vue) avec la trame ou la grille des énergies lumineuses traduites par des intensités colorées. Cette mise en œuvre de la totalité d’un dispositif délibérément scénographique sera déterminante. Avec une optique très personnelle, Yohann Gozard réalise des photographies habitées et vécues en équilibre sur les bords du paysage et de l’architecture en accumulant les couches temporelles. Le paysage est un milieu, à égale distance, dans l’espace et le temps, entre le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité. Le paysage est au milieu de la nuit éclairée. Par le travail de recherche de la profondeur, avec la lenteur (ou une autre vitesse que celle de l’instant), Y.G. incorpore le temps dans l’espace de la représentation avec la lumière et avec l’ombre corollaire. Il ne fait pas l’éloge d’une temporalité narrative mais d’une temporalité spatialisée, de la chair du visible, de l’ombre par la lumière et de la lumière dans l’ombre. Il photographie la dimension des couleurs dans ses paysages urbains. Pauses, le titre de l’exposition nous aide à déchiffrer le double sens formulé. Le visible autour de nous semble reposer en lui-même8 : On peut envisager la pause comme un silence musicale de la durée d’une ou de plusieurs mesures, comme la suspension dans le déroulement d’un processus ou comme un repos, l’arrêt momentané d’une activité ou d’un travail. Une inspiration ou une respiration. Le titre suggère la liaison avec la notion si importante dans le travail du photographe, et plus particulièrement celui de Yohann Gozard du temps de pose, de la durée nécessaire pour l’exposition correcte d’une couche sensible. Le mystère aussi familier qu’inexplicable, d’une lumière qui, éclairant le reste, demeure à son origine dans l’obscurité9. Ce temps de pose et/ou de pause est à prendre à la lettre en opposition avec l’instantané (qui est souvent la marque reconnue de la photographie comme document ou comme expression). Le temps n’est pas, comme dans l’instantané, arrêté mais suspendu. Après le titre, les légendes enregistrent le temps de pose, par exemple 20h00 / 03h46 et la date 28.07.2004 / 29.07.2004. D’autres éléments signifiants au cours de la prise de vue (l’éclairage, la ou les lumières naturelles et/ou artificielles) et au cours du traitement informatique entrent en ligne de compte. Je constate une forme d’observation méthodique poussée à ses extrêmes conséquences descriptives dont la camera obscura10, à l’origine de l’appareil photographique, pourrait être l’un des paradigmes. Une image photographique est légendée par sa date : Avril 2004. A priori assez anodine parmi d’autres plus mystérieuses elle est intéressante à décrire pour cette raison même comme motif de notre environnement. L’effet de perspective semble être accentué par les deux constructions symétriques qui limitent l’espace en l’encadrant. Le vert des arbres contraste bien avec le rouge de la clôture et des briques. Un pylône disproportionné semble être ou avoir été le centre emblématique de cette photographie. Des lumières s’allument…Il ne fait pas encore nuit. Le sol au premier plan est comme le reflet d’un bleu plus dense du ciel gris éthéré. Ce fragment d’espace comme image est doté de sa propre unité définissant son lieu, un espace habité ou visité, une demeure en réunissant ses différents niveaux…Un certain nœud dans la trame du simultané et du successif11. Les images photographiques de Y.G. ne sont-elles rien d’autres que des vues extérieures prises assez souvent au soleil couchant et parfois de nuit ? Il faut constater tout de suite qu’elles se situent toujours dans des zones qui avoisinent les frontières : Espaces désertés, banlieues déshérités ou faubourgs peu éclairés, quartiers périphériques, envers du décor, coulisses et impasses. Lieux intermédiaires à rapprocher avec le statut de la photographie, de l’image et du visible qui se situent également entre… Le visible total est toujours derrière, ou après, ou entre les aspects qu’on en voit, il n’y a accès vers lui que par une expérience qui, comme lui, soit toute hors d’elle-même12. Bien qu’en marge, les zones plus particulièrement choisies n’expriment pas vraiment de la mélancolie, sinon celle attribuée à la photographie elle-même comme étant son essence, sa propriété, qui modifie affectivement notre expérience du temps... Elles sont contemporaines, proches de nous et pourtant elles dégagent une familiarité inquiétante par une présence-absence, par le calme et le silence, par une tension du lieu... Un espace à la limite de la ville que le photographe peut s’approprier pour une durée suffisante à la réalisation de ses longues poses. La nuit relativise notre perception du temps. Elle n’est pas seulement préférée au jour pour la solitude et la concentration, mais parce qu’elle permet une lente élaboration spécifique d’impression de la pellicule par une faible lumière. “Or la force de l’image (…), c’est la lumière et son inséparable et transcendendal revers, l’ombre, l’invisible de la lumière dans la lumière même”13. Les photographies de Yohann Gozard sont attentives aux changements de lumière. Elles sont élaborées lentement entre chien et loup, entre ville et campagne, entre artifice et nature. Avec ses images crépusculaires aux couleurs incandescentes il tente une expérience aux limites du visible… 1. Cf :Hans Belting, Pour une anthropologie des images, Gallimard, 2004. 2. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Ed. Gallimard,1979. 3. Maurice Blanchot cité par Bernard Stiegler, Art press spécial N°12 “Nouvelles Technologies”, 1991. 4. Merleau-Ponty, Opus cit. 5. Roland Barthes. La chambre claire, Ed. de l’Etoile, Gallimard & Le Seuil, 1980. 6. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Les Editions de Minuit, 1980,ré-édition 2004. 7. Max Milner, La photographie comme machine à rêver, Cahiers de l’imaginaire N°1, Ed. Privat, 1988. 8. Merleau-Ponty, opus cit. 9. Merleau-Ponty, opus cit. 10. La camera obscura : Son principe est un dispositif qui permet à la lumière de passer à travers un trou, souvent garni d’une lentille de verre, percé dans une boîte obscure, et de projeter sur une surface quelconque une image du monde extérieur. Louis Marin, De la représentation, Ed. Gallimard & Le Seuil, 1994. Il s’agit du chapitre 14 : Eloge de l’apparence (sous-titre de mon texte), dans lequel L.Marin analyse l’ouvrage de Svetlana Alpers, L’art de dépeindre sur la peinture hollandaise au XVIIème siècle (dont la traduction est parue chez Gallimard, 1990). Son auteur oppose brillamment le monde des maîtres hollandais, figure achevée du modèle nordique comme relevant essentiellement d’une culture visuelle et comme un art descriptif au modèle italien relevant d’une culture textuelle. 11. Merleau-Ponty, opus cit. 12. Merleau-Ponty, opus cit. 13. Louis Marin, Des pouvoirs de l’image, Paris, 1993 (cité par Hans Belting). Pauses(Jean-Marc Lacabe, 2006) (précisions techniques)(Yohann Gozard, 07.12.2007) |
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